dimanche 15 avril 2012

La contrainte du temps

Je pense que le conducteurs de bus et leurs actions sont souvent incompris du grand public, ce qui peut amener des personnes à s'offusquer lors de certaines situations.

Je vais donc tenter dans cet article d'expliquer la manière dont on travaille, nous, les conducteurs de bus dans des villes de certaine importance afin, je l'espère, d'éclaircir la situation sur certaines de nos actions telles que perçues par les clients.

Je relaterai dans les futurs articles certaines de ces situations typiquement conflictuelles (bus obligé de partir en laissant des voyageurs à l'arrêt, bus "supprimé", bus ne faisant que la descente, etc.)

S'il y avait une seule chose à comprendre sur notre métier, c'est que nous travaillons avant tout en suivant des horaires précis et très serrés. Tout en découle. Ca paraît évident bien sûr... Pas tant que ça apparement, sinon il n'y aurait pas tant d'incompréhension. Nous avons des heures précises de départ et d'arrivée aux terminus, et des horaires de passage pour chaque arrêt. Ces horaires sont censés être respectés à la minute prêt. Je quitte le terminus à 17h34, je passe à l'arrêt A à 17h35, l'arrêt B à 17h36, etc. Aucune place n'est laissée à l'"à peu près". Nous avons devant nous en permanence un ordinateur de bord appellé SAE (Service d'Aide à l'Exploitation), qui nous indique en temps réel l'heure, l'heure de passage théorique au prochain arrêt, l'avance ou le retard éventuel, ainsi que d'autres informations relatives au service. Les bus sont bien entendus géolocalisés et le SAE envoie ses données en continu au PCC (Poste de Commande Centralisé, la "tour de contrôle"), qui visualise ainsi en permanence la position des différents bus du réseau.

Comme je l'ai dit, les horaires sont tendus, voir très tendus, et prennent toujours en compte un parcours idéal, voir idyllique (si pas carrément irréaliste). Parfois 2 minutes séparent 2 arrêts, mais quelquefois plusieurs arrêts moins utilisés sont compris dans la même minute... bien sûr le jour où le hasard fait qu'il y a du monde à chacun de ces arrêts, on prend automatiquement du retard. Aucune place n'est laissée à l'imprévu. Par exemple, prendre le temps de renseigner un client coûte facilement une ou deux minutes. Une voiture mal stationnée, un manque de chance aux feux rouges, plusieurs clientes avec des poussettes, une personne en fauteuil roulant, ... sont autant de facteurs qui font facilement perdre de précieuses minutes. En multipliant ça par les 20, 30 ou 40 arrêts que peut compter une ligne, on commence à comprendre la difficulté de respecter les horaires.

Alors que se passe-t-il si on est en retard? Déjà, ça sème la pagaille sur la ligne : si vous avez du retard, ça signifie que les clients que vous chargez ont attendu x minutes de plus que prévu, et que pendant ce temps un nombre plus important de voyageurs s'est accumulé aux arrêts (d'où augmentation des temps de montée/descente). Ca signifie qu'en réalité plus un bus est en retard, plus il prend du retard. C'est d'ailleurs une des toutes premières choses qu'on nous enseigne dans le métier : un retard ne se rattrape pas. Au final le bus en retard finit par se faire rejoindre par le suivant, qui lui est moins chargé qu'il le devrait puisque c'est le premier bus, celui en retard, qui charge toute la clientèle qui était normalement destinée au second. On se retrouve alors à devoir effectuer des manoeuvres de régulation souvent mal appréciée, dont je parlerai plus tard.

Autre conséquence : aux terminus, nous avons normalement un temps de récupération physiologique que nous appelons temps de battement. Ce temps de battement, généralement compris entre 3 et 7 minutes (sauf quelques rares exceptions), est court mais absolument nécessaire. En effet, conduire en ville un véhicule de 12 à 18m de long, 2,50m de large, d'un poids maximal compris entre 19 et 30 tonnes et peuplé de plusieurs dizaines de personnes est... fatiguant.(!). Il est nécessaire pour le conducteur de pouvoir faire quelques pas, fermer les yeux, boire un peu d'eau, aller aux toilettes... Et ce afin qu'il puisse récupérer brièvement et reprendre la route en toute sécurité. Sans ces temps de battement, nous serions contraints d'aligner 3, 4 voir 5 heures de conduite non-stop en ville, avec les conséquences que vous pouvez imaginer sur la concentration et la vigilance face aux nombreuses personnes inconscientes que nous évitons de mettre en danger : vélos de nuit sans éclairage, piétons qui traversent sans regarder, voitures qui nous coupent la route... On n'a pas idée du nombre d'accidents qu'un conducteur du bus évite en une journée, situations qui ne se produiraient pas si chacun commençait déjà à être vigilant pour sa propre sécurité (mais ça pourrait être le sujet d'un autre article à part entière). En réalité, ce temps de battement, on fait une croix dessus environ une fois sur deux. En effet, il suffit d'avoir pris quelques minutes de retard en ligne pour être obligé de devoir repartir immédiatement du terminus.

On en arrive à la conclusion de l'article : un conducteur de bus fait toujours tout son possible pour respecter l'horaire. Il en va de la qualité du service, de la sécurité, mais aussi de son bien-être personnel. Râler sur le conducteur d'un bus en retard ne sert à rien : vous pouvez être certain à 110% qu'il est au moins aussi incommodé que les voyageurs par ce retard et qu'il a tout mis en oeuvre pour l'éviter. C'est-à-dire en posant parfois des actes qui lui ont été appris dans ce but, au prix d'une incompréhension de la clientèle...