dimanche 3 octobre 2010

Première EMT : l'urbain

Retour en mai dernier. Comme mentionné dans un précédent article, ma quête du Graal devait, selon les recommendations non pas de la Dame du Lac mais bien de mon conseiller Pôle-Emploi, passer par l'accomplissement d'une EMT (Evaluation en Milieu de Travail).

Tout naturellement, et surtout par facilité plutôt que par réelle curiosité au départ, c'est auprès des transports urbains de ma ville que je me suis adressé. Par ailleurs, j'appris rapidement qu'il est assez simple de trouver une entreprise pour faire une EMT, les responsables étant souvent heureux de faire connaissance avec de futurs conducteurs potentiels. Il m'est arrivé d'être confronté à un refus de réaliser une EMT dans d'autres entreprises pour différentes raisons qui les regardaient, mais ça n'a pas empêché les responsables de discuter très ouvertement avec moi un bout de temps et de m'expliquer spontanément les conditions de travail dans leur entreprise.

La première étape pour cette EMT fût de demander un premier papier à Pôle-Emploi, puis de me rendre avec celui-ci dans la société de transport en question. J'ai alors eu l'opportunité de discuter tout à fait sympathiquement avec le responsable d'exploitation, qui m'a informé qu'ils étaient justement en période de recrutement pour former de nouveaux conducteurs. Voyant ma motivation à me lancer dans le transport de personnes, ce dernier m'a transmis un dossier à compléter au plus vite, ce que j'ai fait le jour même. J'y reviendrai dans d'autres articles...

Une fois le premier papier rempli par l'entreprise, il fallu le retourner à Pôle-Emploi afin de rédiger la convention d'EMT à proprement parlé, puis amener celle-ci de retour dans l'entreprise pour signature. Ca fait pas mal de trajets pour pas grand chose ;-)

Premier jour d'EMT!
Arrivée à 4h45 du matin au dépôt. Il y a déjà pas mal d'activité dans le local où les CR (conducteur-receveurs) prennent leur service. Une dame est déjà (ou encore, car je ne sais pas s'il elle termine son service de nuit ou si elle vient de commencer sa journée) derrière son ordinateur dans un petit bureau attenant. Le local comprend des centaines de boites aux lettres utilisées par l'entreprise pour communiquer individuellement avec les CR, une sorte de borne informatique, et une quantité impressionnante d'affichettes placardées sur chaque cm² de mur : entre les notices de déviation pour cause de travaux sur la voie publique, les rappels de certaines précautions à prendre et la propagande syndicale, il y a un sacré bazar! Le local adjacent est la salle de repos, avec sa machine à café, ses babyfoots et ses canapés.

Mon tuteur arrive. Chic, c'est une tutrice. Elle m'explique comment se déroule la prise de service. En fonction de son planning, elle sait quel numéro de service lui est attibué. Il faut alors prendre la plaquette (feuille de route plastifiée) qui correspond au service. Sur celle-ci figure notre horaire de la journée, avec les temps de départ à respecter à différents points de passages et aux terminus. On y trouve aussi un code barre, que l'on scanne sur la borne informatique sus-mentionnée. Sort alors un ticket avec le numéro de bus qui nous est attribué pour débuter la journée (on changera à mi-parcours).

Petite marche à travers le dépôt avant d'atteindre notre bus parmi les 350 qu'il contient, pour la plupart du matériel récent et bien entretenu. Re-chic, le nôtre sera un articulé. Démarrage du moteur, qu'on laisse tourner en faisant le tour du véhicule afin de vérifier le bon fonctionnement des feux, l'absence de fuite et le bon état des pneux. On vérifie également que les dispositifs de sécurité qui empêchent les portes de se refermer sur quelqu'un fonctionnent correctement (marche sensible ou rayon infrarouge). On introduit ensuite dans le module qui gère la girouette le numéro de bus et de ligne. On introduit également dans la radio numérique le numéro de bus et on la laisse allumée, prête à recevoir des appels du dispatching.

Nous nous mettons enfin en marche et nous rendons au début de la ligne en roulant à un bon rythme car il n'y a personne sur la route. C'est assez sympa de pouvoir apprécier les capacités routières d'un bus articulé (18m de long) sur les grands axes sans devoir s'arrêter. Mine de rien, ça pousse fort. Il y a déjà quelques personnes aux premiers arrêts que l'on dessert. Ces clients sont encore endormis mais polis, et ils nous retournent notre salut. Le jour se lève, rapidement le nombre de clients augmente et les tours de ligne s'enchaînent.

D'un point de vue clientèle, la journée se passera sans fioritures. Je constate que beaucoup de gens sont quand même polis. Il n'y a aucun passager ouvertement désagréable et la pire incivilité qu'on fera à ma tutrice sera de l'ignorer bêtement, casque de baladeur sur les oreilles. Les 1-2 personnes qui demandent leur chemin se montrent très reconnaissantes. J'ai la chance de vivre dans une ville qui connait peu de violence... Je ne pense pas que le tableau soit aussi sympathique à Paris, Marseille ou Bruxelles...

Au niveau de la conduite je me rends compte à quel point il est interdit de relâcher l'attention, entre les piétons qui traversent sans regarder, les vélos, les livreurs stationnés sur la chaussée juste après un virage qu'il faut contourner bon gré-mal gré, les travaux publics, et j'en passe. Ceci dit, on pourrait me trouver maso mais je ne trouve pas ça désagréable, et à priori ça me semble finalement sans doute moins pénible que de rester plusieurs heures au volant d'un car de grand tourisme en ligne droite sur autoroute ou nationale à lutter contre l'ennui et la perte d'attention...
Je comprend aussi que la conduite peut être stressante car il faut vraiment respecter l'horaire à la minute près, avec interdiction formelle de quitter un arrêt à l'avance (sous peine d'avertissement!). En effet, un bus qui part à l'avance signifie des clients qui devront attendre le suivant pendant au moins dix minutes... alors qu'un retard n'est généralement que de 3-4 minutes au plus et peut se rattraper. Pour ce faire, il faut parfois rogner sur les quelques minutes de battement dont on dispose à chaque terminus, mais il existe d'autres techniques assez surprenantes dont je vous parlerai sans doute ultérieurement.

La journée sera l'occasion de discuter des conditions de travail particulières à cette entreprise. Il s'avère qu'elles sont excellentes pour le secteur du transport. Bien sûr les horaires peuvent être contraignants puisqu'on est amené à commencer tôt le matin, à terminer tard ou à faire des services coupés. Cependant les 35 heures y sont de mise et rapportent nettement plus que mes emplois précédents. J'exerçais pourtant un métier plutôt bien considéré, dans un bureau, etc. J'apprendrai par la suite que les conditions sont souvent assez bonnes dans les gros réseaux urbains. Ainsi la journée de travail se décompte du début à la fin de mise à disposition pour l'entreprise, et non pas à partir du moment où on commence à conduire jusqu'au moment où on quitte le bus en fin de journée comme je le croyais. C'est-à-dire que dans les 35h de ma tutrice et de ses collègues sont comptés le temps de trouver sa plaquette et de la scanner, de s'informer des éventuelles déviations, de vérifier son courrier interne... et même de papoter un peu en buvant un café avant de se rendre sur le parking. Il en va de même en fin de journée : les heures rémunérées se terminent un certain temps après avoir quitté le bus... le temps d'aller acomplir les petites formalités d'usage et de rentrer au dépôt si on a laissé le bus à un collègue en fin de parcours. Je suis agréablement surpris par ce fait, car dans la plupart de mes emplois précédents, on n'était généralement payé que pour du "travail effectif" alors même qu'il fallait passer du temps dans l'entreprise à se préparer, vérifier différents éléments, ou autres, sans rémunération!

Ma tutrice, sympa et pédagogue, m'expliqua aussi le fonctionnement du planning. En rentrant dans l'entreprise, on se voit assigné "les pires" horaires, c'est -à-dire qu'on sert de bouche-trou et qu'on peut être amené à terminer un service un soir et à recommencer tôt le lendemain matin, à faire beaucoup de services coupés, et à ne savoir qu'au dernier moment quel sera l'horaire du lendemain. Cette période dure en moyenne 3 ans. Ensuite on est placé dans un planning plus cool qui consiste à faire une semaine de matins, une semaine d'après-midis et une semaine de services coupés. Avec chaque jour des lignes et des bus différents. Finalement, après une période supplémentaire de plusieurs années on peut si on le souhaite devenir "régulier" c'est-à-dire se voir assigner un horaire fixe sur une seule ligne avec "son" bus. Ceci tend à devenir plus rare car les CR aiment garder la diversité des horaires, et des lignes. Et je les comprends! Je ne pense pas que j'apprécierais la monotonie de faire chaque jour exactement le même trajet aux mêmes heures. Par ailleurs, les CR travaillent un samedi sur deux, et un dimanche sur huit. Tout ça me parait très raisonnable...

Notre journée de travail se termine vers 12h30. Nous avons alors fait grosso modo la moitié du temps sur une première ligne et l'autre moitié sur une seconde, avec une vingtaine de minutes de pause et un changement de bus entre les deux. Au final, le temps aura passé vite. On laisse le bus en plein centre-ville à un autre CR qui enchaîne immédiatement en milieu de ligne. On prend la navette de l'entreprise qui nous ramène au dépôt, ma tutrice va rendre sa plaquette et nous rentrons chez nous.

La seconde journée d'EMT dans cette entreprise se fera cette fois avec un tuteur, très sympathique également et toujours passionné par son métier qu'il exerce depuis 10 ans. Ici la prise de service se fait en ville vers 13h, on relève un collègue. Le travail de déroule de manière comparable à la journée précédente, sauf que nous ramenons le bus au dépôt en fin de service, vers 20h30. Dans une grande entreprise de ce type on n'a pas besoin de nettoyer le bus soi-même : l'extérieur est lavé dans des rouleaux automatiques à l'entrée du dépôt, et une équipe se charge du nettoyage intérieur et de faire le plein de carburant.

Conclusion
Au terme de ces deux jours d'EMT j'ai pu appécier la diversité du métier. On voit passer toutes sortes de clients et on est aux premières loges pour assister aux scènes cocasses du quotidien citadin. Cette expérience me donne très envie de travailler pour les transports urbains de ma ville actuelle, chose que je ne soupçonnais pas. En effet j'avais à priori plutôt prévu de me diriger vers les autocars... les transports urbains de la ville où j'ai passé mon enfance m'ayant donné une image négative du métier, que cette EMT a permis d'effacer. J'ai tout de même réalisé une seconde EMT auprès d'un autocariste, qui fait également l'objet d'un article.

Je voudrais mentionner qu'outre mes tuteurs, j'ai eu l'occasion de discuter avec un bon nombre de CR en salle de repos, et j'ai été ravi d'y rencontrer un ensemble de personnes ouvertes, sympathiques et passionnées, très loin du cliché du "tourneur de volant un peu rustre" que certaines personnes s'imaginent sans rien en savoir. Certains CR me disent que les insultes sont quotidiennes, d'autres qu'ils leur est arrivé de se faire cracher dessus. Ca me parait incroyable, n'ayant jamais constaté ça de ma vie, et au vu des deux services paisibles que je viens de faire. Quoi qu'il en soit, le conducteur de votre bus n'est pas un meuble, la moindre des choses est donc de le respecter comme n'importe qui. Un "bonjour" et un sourire sont je pense les règles de base que vous appliquez en entrant dans un magasin ou dans un restaurant, alors pourquoi en serait-il autrement dans le bus?

Lire le compte-rendu de ma seconde EMT en inter-urbain.